29/07/2021
[Dormir avec son enfant est-il HONTEUX ?]
C'était mon mon tout dernier rendez-vous de la journée. Dans une crèche, en plein coeur d'une ville bourgeoise qui compte plus de BAC + 5 que de brins d'herbe.
Une maman vient me consulter car sa fille de 10 mois, Chloé, une enfant aux grands yeux aussi bleus que des diamants, se réveillait plusieurs fois par nuit.
Pour en savoir un peu plus sur ses habitudes de sommeil, je lui demande où Chloé dort le plus souvent.
La maman marque un temps de pause. Elle soupire, incline la tête vers le bas et me répond sur un ton vague, presque blasé : « Oh mais elle dort dans son lit bien sûr… »
« Ok, lui dis-je, mais où est son lit ? »
Elle me répond (sur un ton toujours aussi vague comme celui d’un mafieux italien à grande moustache qui, interrogée par la police, n’oserait pas dire où il a caché le cadavre d’un de ses ennemis) : « il est dans sa chambre… Enfin, il l’était. Disons que depuis quelques mois, il ne l’est plus vraiment… ».
J’insiste : « Oui, d’accord. Mais pouvez-vous me dire où est son lit aujourd’hui ? Où dort-elle ? »
« En fait, il est dans notre chambre… » me répond-elle.
« Ok. Et où dort-elle exactement dans votre chambre ? Dans un petit lit ou dans votre grand lit à vous ? »
"Bah… Elle dort dans notre lit, voilà [elle baisse spontanément la tête vers le bas, fuyant mon regard, comme si elle craignait que, choquée devant une telle désinvolture, je lui aboie dessus comme un roquet].
« Pff… Je n’ai pas trop le choix, se justifie-t elle. J’en avais assez de me lever plusieurs fois par nuit. Alors on s’est dit qu’elle viendrait dans notre lit pendant un temps, c’était plus simple pour tout le monde » .
« Donc, si j’ai bien compris, vous dormez ensemble tous les trois depuis quelques semaines. Mais pourquoi me le dites-vous sur un ton aussi fataliste ? On dirait que cette situation vous embête… Ça ne vous plaît pas de dormir avec votre fille ? »
[La maman esquisse un demi-sourire, comme si elle reprenait vie] : « Oh si, ça me plaît ! J’aime être contre elle, me réveiller à ses côtés. Et elle aussi ça lui fait du bien car quand elle est dans notre lit, elle se rendort plus vite et se réveille moins ! ».
« Mais alors, qu’est-ce qui vous pose problème ? Le papa n’est pas d’accord ? »
« Si, il est d’accord, au contraire ! Il trouve ça super d’avoir Chloé dans notre lit. Il lui a même aménagé un espace pour qu’elle s’y sente bien et qu'elle puisse dormir en toute sécurité… »
« C’est une très bonne chose que vous ayez tous les trois trouvé votre équilibre ! L’essentiel est que vous vous sentiez bien, et là, c’est le cas. Mais alors, je ne comprends pas, pourquoi avez-vous tant de difficultés à me dire que vous dormez avec votre fille ?! »
La maman marque un temps de pause, long, très long, trop long. Je comprends qu'elle est sur le point d'arracher du fond de sa gorge une révélation difficile, presque douloureuse.
Je lui souris tendrement, l'invitant à prendre tout son temps.
Et ce temps, elle le prend.
C'est alors qu'elle me lance, de but en blanc, frontalement, elle qui est un adulte respecté dans son métier, elle qui occupe un poste à grande responsabilité dans son entreprise, elle qui n'est pourtant pas le genre de femme à se laisser dévorer par les autorités intellectuelles :
« Parce que j’ai HONTE, voilà pourquoi. Parce que dès que je le dis à quelqu’un, on me regarde avec de gros yeux pleins de reproches ou de dégoût. Parce que j’ai l’impression d’être une mauvaise mère.
À la dernière consultation chez le pédiatre, j’ai fait la bêtise de lui dire où dormait Chloé. Il m’a grondé comme une petite fille, moi qui ai 34 ans ! Il m'a dit qu'il était temps de couper le cordon !
Je n'ai pas su quoi lui répondre. J'étais estomaquée. Sidérée. Je me suis alors juré de ne plus le dire à personne, et encore moins à une psy ! »
La HONTE…
Le mot a été lâché. Cette maman a HONTE. Dans n'importe quelle autre culture, plus traditionnelle, plus proche des besoins des bébés, elle aurait été fière de dire à son entourage qu’elle dormait avec son enfant.
Mais aujourd’hui, au XXIème siècle, en France, dans un pays pourtant industrialisé et développé et qui bénéficie de connaissances scientifiques sur l’enfant, elle en a HONTE.
Pourquoi ? Car le sommeil partagé est devenu un tabou.
Quand ? Quand notre culture occidentale a migré vers un mode de maternage distal, qui privilégie une distance entre le corps de l'enfant et celui de l'adulte.
Comment ? Sous l'influence de l’Église et de certains psychanalystes.
A ce moment de l'histoire de l'humanité, je ne sais pas si nous avons fait un pas en avant ou quatre pas en arrière.
J'ai une confidence à vous faire : moi-même je dors très souvent avec mes filles. Et vous savez quoi ? On adore cette proximité. Et pour rien au monde j'y mettrais un terme sous l'égide de l'avis de quelques intellectuels dépassés.
Contrairement aux idées reçues, le cododo n'augmente pas le risque de mort inattendue du nourrisson (ni d'une quelconque névrose chez l'enfant !) s'il est pratiqué dans des conditions sécuritaires.
Faire dormir son enfant dans sa chambre, c'est bien. Dormir avec ses enfants, c'est bien aussi.
Conclusion : écoutez-vous, un point c'est tout.
[Extrait de mon "Manuel de survie des parents" (InterEditions, 2019]
PS : ce post ayant fait l’attaque de trolls psychanalystes dogmatiques attaquant de manière virulente les abonnés qui ne partageaient pas leur point de vue (et m’attaquant aussi directement), j’ai été contrainte de désactiver les commentaires (bienvenue en France, le pays où les psys se tapent dessus 😣!).